La cité jardin du Chemin Vert, un projet visionnaire.
À Reims, en Champagne, il existe un quartier niché entre trois boulevards: on l’appelle la cité jardin du Chemin Vert.
Projet social initié en 1919, dont le but était de loger les familles ouvrières, la cité du Chemin Vert s’inscrit dans la mouvance du catholicisme social.
Impulsée par l’industriel Georges Charbonneaux (moutarde et condiments) Joseph Krug et Louise Pommery (champagne) la Cité du Chemin Vert est un projet unique en son genre. La construction est confiée au Foyer Rémois, un bailleur social. Le but était de proposer des logements aux familles nombreuses dans de bonnes conditions d’hygiène et d’intimité entre parents et enfants. Cette structure existe toujours, c’est sans doute à cela que l’on reconnaît le progrès; il dure dans le temps!
Un projet différent des cités ouvrières traditionnelles.
Contrairement aux cités ouvrières qui sont rattachées à une entreprise et donc à une activité professionnelle bien précise, le quartier du Chemin Vert n’est chapeauté par aucune industrie ou activité. Le prérequis était d’avoir une famille nombreuse.
On trouvait alors des salariés de draperies encore en fonctionnement à l’époque, des employés de maison de champagne… et même quelques verriers!
La Verrerie Mécanique Champenoise, implantée à Reims, fabriquait des verres très connus dans la région, que l’on appelle des blidas.
Ces verres sont un héritage de la présence française en Algérie (dans la ville de Blida) pendant la colonisation. Ils ont la même forme que les verres à thé. Mais leur usage est différent : on y verse du ratafia ou du champagne. Ni pied, ni jambe, facile à laver, à empiler et à transporter, c’est un verre typique des fêtes en Champagne. Dans mes souvenirs, c’est le verre des mariages et des kermesses!
Une cité visionnaire.
En avance sur son temps avec des équipement sociaux et culturels rares pour l’époque : maison commune (maison de la culture avant l’heure) « maison de l’enfance » pour les femmes et les enfants, bains douches, bibliothèque, salle des fêtes, 12 commerces, la cité jardin fait preuve d’innovation et de pragmatisme.
617 logements accueillant près de 4000 habitants. Chaque maison est dotée d’un potager, d’un poulailler et de clapiers pour les lapins: l’autonomie alimentaire est de mise et peut garantir à chaque famille cette sécurité si importante.
La cité jardin préfigure les avancées sociales du Front Populaire, ainsi que toutes les mesures sociales mises en place à la sortie de la seconde guerre mondiale.
Les vitraux de l’église Saint Nicaise, la beauté à portée de main.
En 1923 débute la construction de l’église Saint Nicaise, classée au titre des Monuments Historiques. C’est l’architecte Jacques Marcel Auburtin qui se voit confier le projet.
J’ai beaucoup de tendresse pour les églises ouvrières. Construites à taille humaine, leur architecture se veut proche de ceux qui y pénètrent. Elles reflètent la vie quotidienne et constituent un témoignage très vivant d’un mode de vie basé sur la conscience du collectif et de ses vertus.
Les églises ouvrières dégagent un parfum de proximité et d’intimité, à contre-emploi des églises de centre-ville ou bien encore des cathédrales. Ici, l’espace se fait moins vertical. Les voûtes et les murs sont moins monumentaux.
Les vitraux ne surplombent pas leurs spectateurs depuis des hauteurs inatteignables: ils ne sont pas intimidants.
Permettre à tous, sans distinction de classe sociale, d’être entouré de beauté est un outil pour l’autonomie. Vivre quotidiennement entourée par cette beauté est un axe non négligeable dans le cadre d’un projet de société progressiste.
La beauté procure force et vigueur et lorsqu’elle est au centre d’une collectivité, elle apporte légitimité et estime de soi. Elle n’est pas réservée à d’autres et permet d’éprouver un sentiment d’appartenance puissant, qui peut même parfois protéger du mépris.
Inscrire cette église au cœur de la cité jardin est le fruit d’une réflexion visionnaire.
Les métiers d’art et leurs pratiques démontrent ici leur fonction sociale et politique. C’est ce qui fait leur force et leur intérêt : un siècle plus tard, l’esthétique et le propos de ce projet n’ont pas vieilli.
Le renouveau de l’art sacré.
Le renouveau de l’art sacré correspond à une volonté de réconcilier les monuments catholiques avec l’art moderne. Ainsi, de nombreux projets ont vu le jour afin d’intégrer aux monuments un art vivant et ancré dans son époque.
Pâte de verre, jaune d’argent, peinture à l’or: le gratin des techniques a été convoqué pour faire de Saint Nicaise un véritable bijoux précieux. On y retrouve des artistes aussi prestigieux que Maurice Denis, René Lalique (né à côté de Reims) et Gustave Jaulmes.
Une grande douceur se dégage de l’ensemble : peintures, sculptures et arts verriers forment une synergie accueillante et sereine.
Les vitraux se révèlent être des verrières. Chaque panneau est composé de 3 parties, constituant un bas-relief en pâte de verre. La délicatesse et l’apparente simplicité des moulures retranscrit bien cette dimension intimiste qui se dégage dans l’ensemble de l’église.
L’épaisseur de 4/5 cm de chaque élément n’est pas sensible : le verre ainsi sculpté et coloré de dégradés chaleureux et solaires donne à voir la force de la transparence.
Ici, le verre est un support envisagé comme alibi à créer du volume. Ce travail de modelage sur le matériau rend le verre vivant et incarné. Les anges ainsi déployés sur les baies de l’église sont à la fois charnels et impalpables. Les yeux clos de ces figures irréelles veillent sur les visiteurs sans les regarder.
Le guide qui m’a ouvert les portes de cette église me l’a indiqué : « cette église a été conçue pour être accueillante. » Le pari est gagné ; je m’y suis sentie à l’abri et proche d’un luxe, celui du silence gratuit.
Aller plus loin…
Didier Eribon dans Retour à Reims retrace l’histoire de sa famille qui habitait ce quartier
L’église se visite sur rendez-vous ! A découvrir sur le site www.reims-tourisme.com.
Les amis de Saint-Nicaise du Chemin-Vert
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